Retrouvailles

Publié le par Olivier

Mercredi soir. Les coups de fil passés ses derniers jours portent leurs fruits. Je vais revoir des personnes qui faisaient partie de mon quotidien de l’époque : Mes voisins Willem & Montserrat, puis mon ancien professeur Yves et sa femme. Ces derniers ont aussi été nos voisins, de l’autre côté du mur dans la « casa de los jardines ».

Je me rappelle d’un jour où je n’avais pas fait mon travail. Qu’avais-je inventé comme excuse ? Je ne m’en souviens plus. Mais mon professeur m’avait dit alors de lui amené mon cahier avec mon travail, dés que  je serai rentré. C’est bien évidemment ce que j’ai fait, mais entre-temps, je me souviens m’être escrimé dans ma chambre à finir mon travail. Je crois bien que c’est le seul souvenir que j’ai de « travail à la maison ». Je me souviens bien davantage de jouer aux fléchettes ou au ping-pong après l’école. Ou encore dans le quartier avec des copains, ou de traîner à la Pulpéria quand j’avais une course à y faire. J’aimais bien perdre mon temps à ne rien faire qu’à noyer les mouches qui s’aventuraient à l’intérieur des goulots de bouteille, dans les casiers vides à l’entrée de la pulpéria. Ou regarder don Carlos extraire les haricots secs de leur grands sacs de jutes pour les peser sur les plateaux à bascules et enfin les glisser dans un sac en papier. Des haricots secs, il y en avait de toutes les couleurs. Des blancs, des rouges, des noirs, des bicolores. A les regarder, on avait envie de plonger sa main dans le sac, de les faire retomber pour entendre ce bruit si caractéristique. Qu’est ce qu’il y avait d’autre dans la Pulperia de don Carlos ? des cigarettes que les gens achetaient à l’unité. Des cachets d’aspirine « mejoral » ou « alka setzer ». Et bien sûr des bonbons. Je me souviens surtout des caramels, d’en acheter un sac plein pour manger devant le petit poste de télévision noir & blanc, dès que le soir tombait, à regarder « les Robinsons de l’espace », « la isla de Guliver »

J’avais revu Yves en France il y a 4 ans alors qu'il était de passage à Rennes. Toujours professeur au lycée Franco, il encadrait un échange d’élèves. Comme moi plus tard, Il avait  feuilleté l’annuaire téléphonique et retrouvé le contact d’un autre Yves, mon père. Nous avions profité de ce passage pour nous revoir dans un café de la ville et le recevoir à dîner à la maison. Au café nous avions échangé des informations sur le « nouveau » Costa Rica, et je lui avais exprimé à quel point j’étais marqué par cet « ancien » Costa Rica. Il m’avait demandé si j’aimerais y vivre. Ma réponse fut « oui ». Cinq ans plus tard ma réponse est encore « oui ».

Oui, parce que j’ai retrouvé là bas une partie de moi même. J’ai retrouvé l’ espagnol que j’ai appris. J’ai retrouvé le contact avec la nature et le goût des aliments oubliés. Et puis surtout une vie simple tournée vers l’essentiel, me semble t-il : le moment présent.

L'heure H, ou le dîner chez Montse

 

 

Il est 19h pile quand Lela me passe le téléphone. Une voix féminine à l’autre bout s’adresse à moi dans un fort accent costarricien : «-« Hola soy Carmen. Nous venons te chercher dans 5 minutes devant le bar Marsella. C’est Willem qui vient avec une voiture grise. »

 5 minutes plus tard, ils m’attendent. 27 ans plus tard j’arrive. Ils ont encore dans la tête l’image d’un jeune garçon blond, aux traits fins et épais comme un fil de fer. Moi j’ai encore l’image d’un jeune très brun, de quelques années mon ainé. Face à moi je retrouve un homme de 45 ans, qui a forci mais qui fait sensiblement la même taille. Il me faudra un temps pour comprendre que c’est moi qui est grandi et lui non. Je le dépasse donc. Il m’ouvre la portière. En un instant je mesure le temps parcouru : 3 enfants à l’arrière. L’ainé a l’âge que j’avais. Carmen sa mère, est là aussi. Je la reconnais maintenant après l’avoir oublié faute de photos. Je reconnais ses traits après avoir reconnu sa voix il y a quelques minutes. Etrange voyage en voiture. Voyage aller ou voyage retour ? Voyage à faire des allers retours !

- Tu te rappelles ? Et ta sœur ? Et ton père ? Et ta mère ?

- Et vous ? Quoi ? Un autre frère ? Quoi ? Il a 27 ans ? Non, je ne savais pas.

 


La voiture entamme un virage et passe une barrière. Nous entrons dans ce qu’ils appellent « une urbanization » . Un gardien nous ouvre la barrière et salut le chauffeur. Quelques mètres plus loin, la voiture se gare devant un haut portail entourant un grand jardin lequel entoure une grande maison. Une femme en tailleur, élégante  ouvre la porte, s'avance sur l'alléeet m'ouvre les bras. C'est  Montserrat qui m'enlace ravie de m'accueillir.  Elle aussi je la reconnais.

On entre dans la somptueuse maison, à l'américaine. Les enfants courrent vers la cuisine pour allumer la télévision. C'est l'heure du JT sur la 7 teletica: "una cadena de toda la vida". On m'appelle, je regarde debout la fin du reportage et découvre sur l'écran le visage du dernier des frères, né l'année de mon départ et qui à cet instant présente le JT. Les présentations sont faîtes, on passe au salon pour dîner.

Ceviche, guacamole, purée d'haricots rouges, nachos frais avec une bière. Un apéro dinatoire comme on dirait chez nous. Confortablement installé sur de grands fauteuils, nous devisons sur le temps qui passe et prenons des nouvelles des uns des autres.


Quelques heures plus tard, il faut rentrer. Les enfants on école et nous sommes en semaine. Longue journée de travail le lendemain.


Au retour, Willem m'emmène sur la route du lycée que nous empruntions ensemble à bord de l'austin de ses parents ou de la nissan de mon père. Nous étions 6 dans la voiture dans nous souvenir être sérrés pour autant.

La route est maintenant asphalté : "tu reconnais la côte?"  me demande Willem.

Et comment. Je me souviens des vieux cars scolaires jaunes crachant leur nuages de fumée noire  tout en peinant dans la montée

- "Ton père avait une datsun 180B . La seule du Costa Rica. Et il conduisait vite."


Willem est intarrissable de souvenirs. Des cafetales où l'on jouait dans le quartier, en passant par le garage où l'on récupérait des roulements à billes pour fabriquer des patinettes de fortunes sur lesquelles on dévalait la pente qui menait à sa maison.

Lentement, ces souvenirs se superposent à d'autres souvenirs. Mais pour la première fois, c'est sur les lieux même qu'ils sont évoqués. Cela leur confère une autre réalité, tangible. Ce ne sont plus des souvenirs en forme de rêve, mais des souvenirs vrais que je partage pour quelques minutes avec un autre témoin et acteur ici, au Costa Rica quelques heures avant mon retour. Et à mon grand étonnement, ces souvenirs sont tout aussi précieux pour lui que pour moi.

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